Suivre du regard les lignes qu’un artiste a tracées à la surface d’une feuille de papier est un exercice fascinant. Qu’il soit méticuleusement achevé ou qu’il ait été rapidement esquissé, le dessin offre en effet à celui qui l’observe l’opportunité d’un contact intime avec le geste créateur. Il est dès lors une plongée au plus près de l’inspiration artistique et le temps de sa contemplation s’apparente bien souvent à une révélation. L’instant est d’autant plus précieux que la fragilité des arts graphiques les rend particulièrement rares sur les cimaises des musées.
« Le sentiment du dessin » démultiplie l’opportunité de ces rencontres. Trois commissaires d’exposition - historiens de l’art, critiques, directeurs d’institutions, artiste - fins scrutateurs de la création contemporaine et tout autant amoureux des arts anciens, ont été invités à puiser dans trois cabinets d’arts graphiques de renommée internationale la matière propice à la délectation du visiteur. Chiara Parisi explore les collections des Musées de Marseille ; Gérard Traquandi sonde les fonds du FRAC Picardie Hauts de France ; Jean de Loisy retrouve les feuilles de Beaux-arts de Paris. De leurs choix respectifs, du XVIe au XXIe siècle, transcendant les choix techniques, contextuels et stylistiques au seul prisme de leur sensibilité, résulte un parcours étonnamment cohérent, fruit d’un dialogue qui s’est immédiatement cristallisé autour des multiples états émotionnels tour à tour illustrés par le dessin ou contenus dans le geste qui le trace. Les horizons romanesques dont il est ici question entraînent les publics de lignes en aplats, vers les territoires du désir, du rêve, de la compulsion et de l’apaisement. Leurs intersections, contrepoints et convergences promettent de vibrantes découvertes pour les amateurs autant que pour les curieux qui, depuis plusieurs mois déjà, font du [mac] Marseille un lieu phare de la création contemporaine en Méditerranée.
Imaginée par les Musées de Marseille en partenariat avec Paréidolie – salon international du dessin sur le territoire marseillais à l’occasion de sa dixième édition, l’exposition « Le sentiment du dessin » produit un écho saisissant à « Parade », nouveau parcours des collections du [mac] déployé à l’occasion de sa réouverture. Les choix de Chiara Parisi sont en effet autant de célébrations des collections patrimoniales marseillaises : Annette Messager, Henri Cueco, Michelangelo Pistoletto ou Gina Pane paraissent converser avec Ed Ruscha, Julien Blaine ou Sarkis. Couleurs, hachures et aplats, jeux d’encre et de lavis témoignent de la liberté d’invention avec laquelle toutes et tous ont poussé le dessin au-delà de ses territoires établis. Ils sont une invitation à explorer l’étendue de cette inépuisable élan amorcé avec les années 1960, au seul prisme de la liberté qui l’a guidé. Les choix de Gérard Traquandi parmi les collections du FRAC Picardie Hauts de France complètent ce spectre par des œuvres de Marlène Dumas, Georg Baselitz, Agnès Martin, Giuseppe Penone ou Gabriel Orzco. Certaines d’entre elles produisent de saisissants échos avec les recherches de ces mêmes artistes dans le domaine de la peinture, de la sculpture ou de l’installation essaimées dans les salles d’exposition permanente du [mac] Marseille.
A leurs côtés, des dessins retenus parmi les fonds du musée des Beaux-arts de Marseille, du musée Grobet-Labadié, du Château Borély - Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode et du musée Cantini de la main d’Antoine Watteau, François Boucher Francisco de Goya, Pierre Puvis de Chavannes, Pierre Bonnard et jusqu’à Aube Ellouët Breton, Fred Deux ou Louis Pons rappellent combien est étroite la relation de la création contemporaine à son propre passé. On est saisi par la beauté de ces croisements poétiques à travers l’espace et le temps qui vont jusqu’à convoquer certaines feuilles par les plus grands artistes de la Renaissance italienne et notamment Jacopo Pontormo, Giovanni Battista Naldini ou Clemente Bandinelli. En leur honneur, Jean de Loisy a puisé certaines œuvres conservées par l’École des Beaux-arts de Paris par Parmigianino, Francesco Salviati, Federico Zuccari, Le Guerchin, Hendrik Goltzius ou Anton Van Dyck. Les prêts concédés par cette prestigieuse institution, farouche protectrice de la seconde plus importante collection de dessins anciens sur le territoire français après celle du musée du Louvre, démontre combien est remarquable le cabinet d’arts graphiques des Musées de Marseille. Leur rapprochement fait du « Sentiment du dessin » la plus importante exposition consacrée aux arts graphiques jamais présentée à Marseille.
Avec la réouverture du [mac] au printemps 2023, chacun a pu constater combien sont riches les collections contemporaines de la Ville de Marseille. Cette nouvelle exposition en apporte une nouvelle preuve dans un domaine fort peu représenté parmi les institutions à l’international. Mettant à l’honneur les choix portés depuis près de trente ans par les équipes scientifiques des musées municipaux, cet événement est aussi une manifestation du lien d’amitié associant le territoire avec les créateurs d’aujourd’hui qui s’y trouvent accueillis, collectionnés et quotidiennement valorisés auprès des publics.